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Pour conserver cette culture locale, il faut que les
vieux pêcheurs transmettent leurs connaissances
traditionnelles aux plus jeunes. Ce qu’ils ont peu l’oc-
casion de faire. Mais, il faut aussi associer à la pêche
locale d’autres acteurs importants, générateurs de
revenus. Comme le pesca-tourisme qui accueille
des touristes sur les bateaux et les sensibilise à ses
bienfaits.
Quelles sont, à votre avis, les meilleures
solutions pour la dynamiser ?
Paolo Guidetti En plus du développement de ces nouvelles activi-
Professeur à l’Université tés, il faudrait alléger la complexité bureaucratique
Côte d’Azur et directeur
du laboratoire Ecomers et aider les vieux pêcheurs à transmettre leur savoir.
Sans doute faut-il aussi définir un profil plus mo-
derne des pêcheurs qui comprennent les défis d’au-
jourd’hui à savoir la durabilité et la nécessité d’inté-
Malgré son faible impact environnemental et sa grer des filières courtes du poisson. Ce que certains
pertinence économique, la pêche artisanale est font déjà.
peu considérée. Pourquoi ?
Malgré ses atouts, elle souffre d’être un secteur frag-
menté. Cette atomisation nuit à sa représentation Outre les pêcheurs eux-mêmes, quels autres
politique. Les décideurs de niveau national ou euro- professionnels peuvent y contribuer ?
péen ont longtemps eu l’habitude d’écouter les en- Les restaurateurs ont un rôle crucial à jouer, en étant
treprises de pêche semi-industrielle ou industrielle, les ambassadeurs des produits locaux. Les écoles
mieux organisées et donc mieux représentées. hôtelières aussi en valorisant l’éthique et la culture
du coin. Enfin, les chercheurs comme moi dont la
De plus, depuis que les produits de la pêche sont mission est aussi de conserver le patrimoine culturel
mondialisés, les consommateurs ont perdu la de chaque région.
connaissance des espèces méditerranéennes. La
demande se limite à quelques poissons très connus,
pas forcément locaux. L’Union Européenne, les gouvernements
des pays concernés ont-ils pris conscience
de l’urgence à agir ?
Comment parvenir à la réhabiliter ? Oui, mais il existe une inertie énorme entre la prise
Le plus important nous semble de travailler sur la de conscience et la mise en place des actions. Or,
connaissance et l’éducation alimentaire, en valori- la population des pêcheurs est très âgée et le temps
sant les bienfaits des circuits courts. Et cela auprès joue contre nous. Mais, rappelons-nous qu’il y a dix
des consommateurs comme des décideurs poli- ans, l’Union Européenne voulait arrêter la pêche ar-
tiques. Consommer local, c’est manger du poisson tisanale. Ce qui n’est plus le cas depuis qu’elle s’est
plus frais, meilleur pour la santé et d’un point de vue organisée pour être mieux représentée.
alimentaire, tout en limitant au maximum, parfois à
quelques centaines de mètres, son transport.
Quelle serait, selon vous, la première urgence ?
Ne pas perdre le patrimoine intangible lié aux per-
En quoi la pêche artisanale est-elle une solution sonnes, aux pêcheurs. Mais il est difficile à collecter.
pertinente, particulièrement en Méditerranée ? Quand on cherche des financements pour, on nous
La Méditerranée est le berceau de trois cultures reproche de travailler sur le passé. Or, c’est tout le
(arabe, chrétienne et juive) qui se sont souvent dé- contraire. En le préservant, nous travaillons pour
veloppées grâce à la mer. Les populations côtières l’avenir.
ont déployé des techniques de pêche différentes
à partir de ressources variées qui participent à la
fois à la culture commune et à sa diversité. Avec la
conscience d’un intérêt primordial : préserver ce qui
les nourrit.