Vers une nouvelle gouvernance mondiale des déchets marins plastiques ?

par | Fév. 10, 2021

Tenace autant que pernicieuse, la pollution plastique fait de timides apparitions au sein de l’appareil juridique international à la fin des années quatre-vingt. Trente ans plus tard, le phénomène Plastique, qui menace le plus grand écosystème planétaire et la santé humaine, est un véritable défi au droit des nations du monde. Une réponse à la hauteur du péril est-elle dans les tuyaux des grands textes internationaux ? Décryptage.

Les quelques 13 millions de tonnes de déchets plastiques qui se déversent chaque année dans les océans, charriés depuis les terres par les fleuves et les vents, se trouvent entraînés dans de grands gyres qui déplacent, enfouissent, dégradent une matière capable de résister plus de quatre siècles à l’usure des éléments. Les océans deviennent ainsi le réceptacle des plastiques en fin de vie qui se décomposent en particules minuscules contaminant les écosystèmes marins aux confins du globe. Omniprésente dans nos sociétés modernes, cette matière révolutionnaire des années cinquante a longtemps échappé à toute réglementation. La production, qui continue de s’accroître, génère aujourd’hui une pollution planétaire que le droit international a entrepris de contenir, avec la lenteur des réponses qu’on lui connaît.

 

Les limites du cadre existant

« Les développements juridiques visant à lutter contre la pollution plastique ont émergé dans les années quatre-vingt, peu après la naissance du droit international de l’environnement. Ils dessinent un cadre riche mais encore trop lacunaire », expose Pascale Ricard, chargée de recherche au CNRS au sein du Centre d’études et de recherches internationales et communautaires de l’université Aix-Marseille. La chercheuse en mentionne la première mention, même si elle reste tacite, au sein de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, dite « Constitution des océans » (1982). Son article 207 demande aux Etats de prévenir les effets de la pollution tellurique, qui constitue 80 % de la pollution des océans. « Si le cadre appelle à être précisé, ce que permettra l’avancée des connaissances, l’obligation de prévenir les dommages à l’environnement est présente dans cette convention quasi universelle, même si certains Etats, dont les Etats-Unis, ne l’ont pas signée », commente la chercheuse du CNRS. La pollution plastique fait véritablement son apparition en 1987 dans l’annexe V de la Convention internationale pour la prévention de la pollution marine par les navires (dite « Convention MARPOL » adoptée par 153 Parties). Cette annexe relative à la prévention de la pollution par les ordures des navires mentionne expressément l’interdiction de rejeter en mer toutes « matières plastiques », y compris les cordages et les filets de pêche synthétiques. Mais ce premier pas significatif vise l’univers maritime. 

Depuis, traités, conventions, directives, accords internationaux et régionaux se sont multipliés, encadrant chaque fois l’une des facettes du fléau Plastique. Ils participent à l’élaboration progressive d’un appareil juridique tentaculaire qui gagne en précision mais dont on peut déplorer le manque d’efficacité. Le principal frein du droit international de l’environnement, et la problématique Plastique le souligne, réside dans la dimension politique à laquelle il se heurte inévitablement. Incitatif, il ne peut sanctionner les Etats et n’est que très rarement contraignant sur la mise en œuvre des mesures adoptées. 

Vers un nouveau traité ?

Parmi quelques rares exceptions, l’exemplaire Protocole de Montréal entré en vigueur en 1989, suite à la révélation du trou dans la couche d’ozone par les scientifiques. Si trente ans plus tard notre atmosphère est en voie de rétablissement, c’est grâce aux mesures de ce traité qui a su imposer la suppression de l’utilisation et de la production d’une centaine de gaz utilisés dans l’industrie chimique comme réfrigérants. « Le Protocole de Montréal a mis en place un mécanisme de suivi de la mise en œuvre très singulier en droit de l’environnement. Il accompagne les Etats dans les étapes qui permettent d’atteindre des objectifs chiffrés et concrets.

Un fond spécial a été créé pour aider les Etats à suivre leurs obligations, et c’est seulement après plusieurs étapes que ces derniers peuvent être sanctionnés », poursuit Pascale Ricard. Pourquoi ne pas cloner cet accord, qui a fait ses preuves en matière d’environnement, pour contenir la pollution plastique ? Comme les contaminants de l’atmosphère (qui ont une durée de vie d’un siècle environ), le plastique n’est-il pas une pollution planétaire nécessitant un traité contraignant capable de mobiliser l’ensemble des Etats ? Au cours des dix dernières années, nous avons produit plus de plastique qu’au cours du siècle dernier, et avons atteint une cadence annuelle de 320 millions de tonnes par an.

La question d’un traité dédié au plastique est depuis trois ans sérieusement discutée par un groupe d’experts dans le cadre de l’Assemblée des Nations Unies sur l’environnement du PNUE, aux côtés d’autres options moins ambitieuses, dont le simple renforcement des instruments existants.

L’état d’urgence partout signalé a renforcé l’hypothèse d’une perspective globale. Les membres du G7 n’ont-ils pas adopté, lors de leur réunion de juin 2018 à Québec, une Charte sur le plastique dans les océans ? La récente crise diplomatique mondiale autour des filières de recyclage des déchets plastiques est apparue si symptomatique qu’en 2019, lors d’une conférence réunissant les 187 Parties de la Convention de Bâle sur les mouvements transfrontière des déchets dangereux, convention quasi universelle, les déchets plastiques impropres au recyclage se sont vu ajoutés à la liste des déchets « dangereux » réglementés par le dit texte de loi. Décisive, l’année 2019 a également marqué l’entrée en vigueur d’un Amendement d’interdiction (relatif à l’annexe VII de la Convention de Bâle) selon lequel toute exportation de déchets dangereux d’un pays développé (UE, OCDE et Liechtenstein) vers un pays en développement ou en transition, est interdite. « Ce texte offre un cadre aux pays en développement, en particulier la Chine, la Malaisie et les Philippines, qui pourront, au nom d’un traité mondial, refuser sur leur territoire les déchets plastiques impropres au recyclage des pays développés. L’idée est de généraliser, d’encadrer et de donner plus d’obligations aux pays exportateurs de ces déchets classés comme dangereux », explique Kei Ohno Woodall, membre du Secrétariat des Conventions de Bâle, Rotterdam et Stockholm. En plus de ces mesures qui prendront effet le 1er janvier 2021 et qui confirment le potentiel d’un tel cadre juridique, la Convention de Stockholm (184 Parties), qui réglemente les polluants organiques persistants, a dans le même temps interdit deux nouvelles substances chimiques qui entrent dans la composition de certains plastiques : le dicofol (un pesticide particulièrement nocif pour les oiseaux et les poissons) et l’acide perfluoro-octanoïque (utilisé comme antitache et imperméabilisant). Des composés particulièrement préoccupants s’ils sont recyclés, mis en décharge ou incinérés, et dégradés dans le milieu marin.

Le régime juridique de certains déchets plastiques « dangereux » a ainsi fortement évolué en 2019, laissant en revanche le cycle de vie des autres déchets plastiques dans le flou.

L’impulsion du groupe d’experts qui discutaient ces questions autour d’une table à Plymouth en 2004 a fait du chemin, indéniablement. Depuis, ayant très tôt pris la mesure des bouleversements chimiques de l’océan, l’OA-iRUG, le plus ancien organisme de ce type au monde, n’a cessé de mobiliser la communauté internationale autour du phénomène croissant de l’acidification. Sans l’implication déterminante de la Principauté de Monaco, ces tentatives n’auraient pu conquérir le devant de la scène mondiale et essaimer à tous les niveaux de la société. Les voyants sont pourtant toujours au rouge, le chantier est de taille, raison de plus pour renforcer ce réseau qui favorise une meilleure prise en compte de l’un des plus grands enjeux environnementaux du siècle.

Les chiffres

(Source : Secrétariat de la Convention de Bâle, ONU)

320 millions de tonnes / an : production mondiale de plastique

– Seuls 9 % des 6,3 milliards de tonnes de déchets plastiques générés depuis les années cinquante ont été recyclés. 12 % ont été incinérés. On estime que 100 millions de tonnes de plastique se trouvent dans nos mers, dont au moins 80 % proviennent de sources terrestres. – La bonne nouvelle : ¾ de ces déchets terrestres sont dus à un manque de systèmes efficaces de collecte et de gestion. Les règlementations favorisent l’émergence de solutions.

95 % des emballages en plastique à usage unique sont jetés après 15 minutes d’utilisation. C’est usage ne sera plus possible en Europe dès 2021.

 

Tara traque les plastiques dans les fleuves d’Europe

La Fondation Prince Albert II soutient la nouvelle mission du voilier d’exploration

Lorsqu’en 2014, soutenue par la Fondation Prince Albert II, la goélette scientifique Tara parcourt la Méditerranée pour en échantillonner les eaux, les chercheurs font un constat amer : certaines zones contiennent autant de plancton que de microplastiques. La Méditerranée est donc la mer la plus atteinte par cette micropollution jusque-là passée sous silence. Or d’où viennent ces particules plus petites que des grains de riz qui ont conquis les eaux du globe et constituent la majeure partie (94 %) de la pollution plastique des océans ?

On les croyait issus de la fragmentation des macrodéchets, sous l’effet des rayons du soleil et des vagues. La toute dernière mission Tara Océan, qui s’est déroulée de mai à octobre 2019 avec l’appui renouvelé de la Fondation monégasque, apporte un nouvel éclairage sur ce point décisif. Le voilier d’expédition scientifique a remonté l’embouchure des neuf plus grands fleuves d’Europe, réalisant des échantillonnages en mer, à l’estuaire, puis en aval et en amont des grandes villes. Même si les résultats restent confidentiels, certaines tendances se dégagent. « On a longtemps pensé que les fleuves n’emportaient que des macrodéchets, mais la grande majorité des plastiques qu’on a retrouvés dans les fleuves européens sont déjà sous forme de microplastiques ! On ne s’attendait pas à cela… », relate Jean-François Ghiglione, écotoxicologue microbien du CNRS à l’Observatoire océanologique de de Banyuls-sur-Mer et directeur scientifique de la mission Tara Océan « Microplastiques 2019 » qui a rassemblé 45 chercheurs issus de 15 laboratoires français.

Les scientifiques en ont déduit que le processus d’abrasion conduisant à la fragmentation des plastiques commençait très en amont, dans les terres. Les microplastiques se retrouvent fortement concentrés dans les fleuves qui drainent ces déchets invisibles vers les océans, avec leur lot de polluants qui s’ajoutent à la contamination de toute la chaîne alimentaire. Comment lutter contre cette concentration de plastiques de moins de 5 millimètres ? A l’issue de cette étude, le nettoyage des fleuves n’est plus une option. « Il faut neutraliser le problème à sa source. En lanceurs d’alerte, nous les scientifiques, nous signalons et analysons les problèmes. Mais nous travaillons aussi à la construction des solutions à cette pollution plastique sur la base de l’économie circulaire », expose le chercheur, rappelant combien la mission Tara de 2014 a pesé dans l’interdiction par l’Union européenne des plastiques à usage unique. « En organisant cette nouvelle mission à l’échelle de l’Europe, poursuit-il, nous souhaitons fédérer une communauté de chercheurs issus des différents pays traversés, à l’image de ce que nous avons fait en France avec le groupe de recherche « Polymères et Océans » qui regroupe aujourd’hui 250 scientifiques et sert de relais d’informations auprès des ministères et des industriels ». Et la nécessité de trouver des alternatives à cet usage outrancier du plastique se fait d’autant plus sentir que, et c’est l’autre résultat majeur de la mission, les microplastiques contiennent des perturbateurs endocriniens présents dans les additifs ; ils servent également de radeaux aux molécules d’hydrocarbures, aux pesticides et métaux lourds dont regorgent ces fleuves, mais abritent aussi bactéries, virus et micro-algues qui, sur ces supports providentiels, partent coloniser des eaux lointaines et se retrouvent ensuite dans le ventre des poissons, avec un catalogue d’effets encore à l’étude.

On aurait pu croire les fleuves européens relativement épargnés. Ils sont au contraire les vecteurs privilégiés d’une contamination globale des écosystèmes marins, déversant plus de 600 000 tonnes de plastiques[1] chaque année dans les océans, soit 6 % de la quantité de plastique transportée par les fleuves du globe (ils occupent la seconde place après la Chine, qui pèse 24 % mais qui, rappelons-le, a été la poubelle plastique du monde jusqu’en 2018). Rendez-vous en octobre 2021 pour les résultats de cette mission d’envergure.

Les chiffres

8 millions de plastiques sont largués chaque année par les fleuves, canaux par lesquels transitent 80 % des déchets retrouvés en mer (les fleuves rejettent 1 camion benne / minute dans les océans).

En 2050, si la surpêche et la pollution plastique ne diminuent pas, les océans contiendront la même masse de plastique que de poisson (selon les prévisions de croissance de la production du Forum économique mondial

[1] Estimation établie d’après les modèles mathématiques actuels.Your content goes here. Edit or remove this text inline or in the module Content settings. You can also style every aspect of this content in the module Design settings and even apply custom CSS to this text in the module Advanced settings.